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Le karaté do

L'énigme de BODHIDHARMA
Il semblerait qu'en l'an 520, un moine indien originaire de Kanchipuram, près de Madras, se rendit dans la ville de Kouang (Canton), ou il fut reçu en audience par Wou-ti, empereur de la dynastie des Liang. De là, il prit la route d'un monastère du royaume de Wei, ou il passa des jours entiers en méditation.

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    Si la légende est vraie et si Bodhidharma a véritablement visité le monastère de Shaolin, ce personnage serait doublement important pour l'histoire des arts martiaux, car il aurait non seulement fondé la boxe de Shaolin, mais aurait été aussi le premier patriarche du bouddhisme ch'an ou zen.

    C'est à ce titre qu'il est révéré comme le saint patron des arts martiaux par les Japonais, qui l'appellent Dharuma et exposent son portrait à la place d'honneur dans leur dojos. Ces portraits nous le représentent invariablement sous les traits d'un homme très laid, barbu, les yeux d'un bleu d'acier.

    Le fondateur de la boxe de Shaolin est un personnage mystérieux. Nous ne possédons sur lui qu'un seul témoignage oculaire que nous devons à Yang Hsuan -chih, habitant de Lo-yang, dans l'actuel Honan. Ce récit daté de 547 est intitulé Lo-yang chia-lan-chi (Annales des montagnes des monastères de Lo-yang).

    L'auteur raconte qu'il rencontra Bodhidharma un jour qu'il montait au grand temple Yung Ning avec le préfet de la ville de Lo-yang: « ...à l'époque s'y trouvait aussi le Sramana des terres occidentales, Bodhidharma, fondamentalement un Hon du royaume de Poss'eur (Perse). Devant les merveilles du temple, il dit qu'il était âgé de cent cinquante ans, qu'il avait parcouru en tous sens de nombreux royaumes différents et que rien n'égalait ce temple en beauté. »

    Cette référence qui paraît confirmer l'existence de Bodhidharma est précieuse, mais il faut la prendre cependant avec une certaine prudence, car les textes chinois furent copiés d'innombrables fois et les erreurs de transcription n'était pas rares. De plus, d'autres erreurs peuvent se produire lorsque ces textes sont traduits dans une langue occidentale. A supposer que la traduction soit fidèle, quelle est sa signification ? De quelle langue se servit Bodhidharma lorsqu'il s'adressa à l'auteur ? Parlait-il couramment le chinois ? Voulait-il vraiment dire qu'il avait cent cinquante ans ? Si c'est le cas, Bodhidharma disait-il ce qu'il croyait être la vérité, ou parlait-il par énigmes, à la manière qu'adopteront plus tard les moines ch'an et zen?

    L'expression «fondamentalement un Hon du royaume de Poss'eur» signifie-t-elle qu'il était perse ou qu'il ressemblait à un perse ? Un orientaliste estime qu'elle signifie « le Hon aux yeux bleu-vert ». Dans ce cas, le personnage ainsi décrit aurait pu être un Indien, même s'il avait la peau claire, car le teint clair et les yeux bleus ne sont pas rares dans le nord-ouest de l'Inde.

    Les textes ne disent ensuite pratiquement plus rien de Bodhidharma pendant près de cinq cents ans. Même Hsüan-tsang, le lettré pèlerin chinois du 7e siècle qui visita les temples de Shaolin et de Kanchipuram cent ans plus tard n'en fait pas mention. Puis tout à coup, vers le 11e siècle, apparaissent des ouvrages qui décrivent longuement son séjour en Chine et son enseignement.

    Cette lacune de quatre siècle paraît inexplicable. Une théorie qui concorde avec les faits connus pourrait cependant fournir une explication.

    Les enseignement du bouddhisme ch'an et zen, lorsqu'ils commencèrent à se répandre, étaient certainement considérés comme très radicaux et peut-être même hérétiques. En effet, les lettrés chinois de l'époque consacraient leur vie entière à l'étude des manuscrits, et leurs pratiques religieuses consistaient à célébrer des rituels très élaborés.

    En revanche, dans la secte ch'an, les pratiques religieuses étaient très simples, les manuscrits inexistants, et même le Bouddha ne répondait à aucune nécessité particulière. La doctrine du bouddhisme ch'an dit: «Tu trouveras le Bouddha si tu sais voir clair dans ta propre nature. » Le bouddhisme ch'an, une religion dans laquelle le postulant cherche à atteindre le choc brutal de l'illumination intérieure, ne connaît pas d'objets de vénération.

    Une citation datant de 840 environ confirme ce point de vue. Un maître ch'an, Hsuan-Chien, aurait dit: «Il n'y a pas de Bouddhas, pas de patriarches. Bodhidharma n'était qu'un vieux barbare barbu. Les enseignements sacrés, des feuilles de papier tout juste bonnes à essuyer le pus de vos clous. »

    Le ch'an finit par s'imposer à l'époque ou d'autres sectes bouddhistes furent persécutées en Chine vers 845. Ce mouvement de réaction s'insurgeait contre la richesse et la puissance des monastères. Toutefois, comme le ch'an ne cherchait pas l'accumulation des richesses matérielles, la secte échappa à la persécution. Le ch'an cessa donc d'être considéré comme une doctrine hérétique. Il survécut, prospéra, et ses moines, comme tous les religieux, éprouvèrent le besoin de relater la vie de leur grand fondateur et de répandre sa parole.

    Les ouvrages dans lesquels sont exposés les enseignements de Bodhidharma furent tous écrits longtemps après sa mort, et les livres d'exercices le furent vraisemblablement mille ans plus tard. Les fragments de son enseignement des arts martiaux qu'ils peuvent contenir ont donc certainement été modifiés et dilués durant des siècles et des siècles, au point d'en être méconnaissables aujourd'hui.

    Comme toutes les archives du temple de Shaolin ont brûlé en 1928, il est peu probable qu'on trouve jamais d'autres documents prouvant que Bodhidharma mérite sa place de patriarche du ch'an, du zen et des arts martiaux. Mais ses enseignements survivent.

    C'est un maître des arts internes chinois, le maître Hung Yi-hsiang, qui nous fait finalement comprendre la signification réelle des enseignements de Bodhidharma.

    Le maître explique que c'est Bodhidharma qui a introduit en Chine la notion de wu-te, la vertu martiale. Par là, il faut entendre les qualités de discipline, de retenue, d'humilité et de respect de la vie humaine du véritable guerrier :

    « Avant l'arrivée de Ta-Mo (Bodhidharma), ceux qui pratiquaient les arts martiaux en Chine s'entraînaient surtout pour se battre et ils passaient leur temps à brutaliser les faibles. Ta-Mo apporta le wu-te, qui enseigne que les arts martiaux, loin d'être pratiqués dans un esprit combatif, ont en réalité pour vocation d'encourager le développement de l'esprit et du corps.»

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