Histoire du karate |
Bodhidharma
En l’année 520 de
notre ère parvient au Monastère de la Petite Forêt, Shaolin Shi, un
étrange individu à la peau claire, à la barbe hirsute et au regard de
braise, habillé comme un barbare du Sud (Nan) et qui demande asile et
protection.
En un mot, les
temples, les statues dorées, les images pieuses, les rituels, les dons...
donc tout ce que le bouddhisme représentait en Chine... ne valaient rien
au regard de la recherche de l’illumination. Ce monastère de la petite forêt (Shao Lin Shi en Chinois ; Sho Rin Ji en Japonais) situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Deng Feng, non loin de Luo Yang, la capitale régionale du He Nan, avait été créé au premier siècle de notre ère par un certain Batuo, nommé le " Premier Ancêtre " et consacré en 496 par l’Empereur Xiaowen (Chao Wen) des Wei du Nord qui lui décerna le titre de " Premier Monastère sous le Ciel ". Il s’agissait donc d’un monastère déjà très connu avant l’arrivée de notre Illuminé. Celui-ci, en arrivant au monastère commença une longue méditation, immobile, devant un mur. Cependant, au bout de trois ans de veille, le Prince Bodhidharma se laissa aller au sommeil et rêva des femmes qu'il avait jadis aimées. A son réveil, furieux de sa faiblesse, il s'arracha les paupières et les enterra. Quelques temps plus tard, il observa que les paupières avaient poussé, donnant naissance à un buisson qu'il n'avait jamais vu auparavant ; il en grignota les feuilles, et s'aperçut qu'elles avaient la propriété de tenir les yeux ouverts. Ses disciples chinois récoltèrent les graines ; ainsi commença la culture du thé. Cette découverte lui permit de prolonger sa méditation six longues années. Ce faisant il se mit à comprendre le langage des fourmis et découvrit la vérité.
Plan de Shaolin Shi
Le Dhyâna devint
alors, suivant une nouvelle transcription chinoise, le Tian-Na,
littéralement " saisir, appréhender le Ciel ", puis Chan-na (Tchan Na)
plus proche de la définition originelle indienne qui, à l’origine du mot,
signifiait " retrouver le centre ; agir centré ". Bien plus tard, le
Chan-na fut transcrit Zenna en Japonais classique de même que Bodhidharma
devint Daruma... et Shaolin Shi fut transcrit Shorinji.
Que se passa-t-il
lorsque Bodhidharma (Potitamo, Tamo, Damo, Daruma... etc.) voulut
transmettre son enseignement aux bonzes chinois ? De par ce simple fait il fut donc admis par de nombreux historiens, principalement japonais, que Daruma, donc Bodhidharma, était le créateur, ou du moins l’initiateur, des Arts Martiaux Chinois et Japonais dont l'ancêtre commun était les Arts Martiaux Indiens...
Cette hypothèse est
sympathique mais semble néanmoins légèrement teintée du désir quelque peu
japonais de minimiser l’influence chinoise. Or, il s’avère que les
pratiques guerrières, ou martiales (Wu ou Bu représentant à la fois le
guerrier et le brave qui s’oppose à l’usage des armes, donc de la
violence) étaient amplement développées en Chine avant la venue de
Bodhidharma.
Pour ce qui est de
Shaolin Shi... donc du fameux monastère de la petite forêt il y a
également confusion savamment entretenue à dessein. En effet, si le
Monastère Shaolin du Songchan dans le He Nan, au Centre de la Chine, est
bien celui qui a reçu la visite de Bodhidharma, il a existé, en réalité
cinq monastères de Shaolin presque considérés comme des succursales en
franchise... le second, fondé en 756, était situé à Quangzhou, sur la cote
est.
Depuis, sous
l’influence du tourisme martial, le monastère a retrouvé sa splendeur de
jadis, recréée de toutes pièces avec ses bonzes pratiquants et ses
patriarches " professionnels " qui motivent la venue de centaines
d’autocars et la vente de souvenirs " authentiques ". D'après un texte de Georges CHARLES
Okinawa
L'île d'Okinawa (une corde sur l'océan) est le joyau de l'archipel des Ryu-Kyu. Okinawa jouit d'un climat subtropical : la température moyenne, à Naha, capitale d'Okinawa, est de plus de 20°C pendant huit mois de l'année et au plus dur de l'hiver la température ne descend jamais en dessous de 10°C. Pendant la saison d'été, de juillet à septembre, les typhons y sont réguliers et particulièrement dévastateurs. Très souvent ils paralysent à la fois la circulation aérienne et maritime. Le paysage dégage une sensation de beauté et d'apaisement, avec le bleu limpide du ciel en été et les couleurs magnifiques de l'océan dans lequel se reflètent les récifs coralliens. La nature y est abondante et forme plusieurs parcs naturels. Cependant le sol est mince et la topographie souvent impropre à la culture. Géographiquement, Okinawa, située au cœur des Ryu-Kyu, chaîne arquée de plus 70 îles menant de la pointe sud du Japon à Taiwan (Formose), se trouve à une croisée de chemins : 500 Km au sud du Japon, 500 Km au nord de Taiwan et 740 km à l'est de la Chine continentale. La superficie de l'île n'est que de 1220 km2 pour une longueur de 120 Km et une largeur de 30 km. Malgré ces dimensions modestes, plus de 200 clubs de karaté y prospèrent. Cette densité exceptionnelle témoigne d'une histoire non moins exceptionnelle des arts martiaux dans cette île mythique. Historiquement, l'île vécut tiraillée entre ses deux voisins infiniment plus puissants, la Chine et le Japon. Ouverte par la force des choses à toutes ces influences, l'île devint un creuset original, où s'élabora avec le temps une synthèse particulièrement féconde dans le domaine des arts martiaux.
On pense que les
premiers habitants d' Okinawa étaient originaires de Chine, des îles
japonaises septentrionales et du sud de l'Asie. Dès l'an 300 avant notre
ère, les influences culturelles du Japon et de la Chine se faisaient déjà
sentir dans l'île. Okinawa a été unifiée sous le règne du roi Sho Hashi de Chuzan en 1429. Vers 1470, avec l'effondrement de la dynastie Sho commença une période d'instabilité politique qui ne prit fin qu'avec l'établissement d'une nouvelle dynastie (aussi appelée Sho) en 1477. Pour imposer son autorité aux seigneurs de la guerre rebelles, solidement retranchés dans leurs châteaux, le nouveau roi, Sho Shin, commença par interdire le port du sabre aux nobles comme aux paysans. Puis il ordonna de recueillir toutes les armes pour les placer sous son contrôle, dans son château de Shuri. Enfin, il imposa à tous les nobles désarmés l'obligation de venir vivre près de lui, dans la capitale royale. Il est intéressant de noter que cette politique de désarmement, puis " d'assignation à résidence " des seigneurs rebelles d'Okinawa fut imitée plus tard au Japon avec les édits du sabre de Toyotomi en 1586, puis en 1634, lorsque le shogun Tokugawa ordonna aux daimios, ou seigneurs de la guerre, de se rassembler dans sa capitale.
L'âge d'or
d'Okinawa prit fin en 1609 : le Japon nouvellement unifié, irrité par le
refus d’Okinawa de reconnaître l'hégémonie du nouveau Shogun, envahit
l'île et écrasa son armée. Le roi fut retenu à Edo (aujourd'hui Tokyo)
pendant trois ans, et, lorsqu'il rentra dans son pays, il n'était plus
qu'un pantin aux mains des Japonais.
On pense que deux
mouvements se dessinèrent à Okinawa lorsque le roi Sho Shin désarma les
nobles et les rassembla dans sa ville de Shuri. D'une part, les nobles
apprirent et développèrent l'art du combat à main nue, le Te. D'autre
part, paysans et pêcheurs, privés de sabre, commencèrent à utiliser comme
armes les instruments de leur métier : fléaux, poignées de meule, faux,
brides de cheval et même rames se transformèrent ainsi en armes mortelles,
les Ryu-Kyu bu-jutsu (arts de combat armé des Ryu-Kyu), ancêtres du kobudo.
Ces orientations se maintinrent quand le Shogun imposa la domination
japonaise sur l'île. Au 17ème siècle, le Japon va progressivement se fermer : crainte d'invasions, lutte contre le christianisme, renforcement de la cohésion interne, les raisons sont multiples. Cet isolement presque total va durer jusqu'en 1853. Il explique en grande partie l'originalité de la culture japonaise et de ses arts martiaux. Le karaté tel que nous le connaissons aujourd'hui est essentiellement le produit d'une synthèse qui eut lieu à la fin du XVIIIème siècle entre l'art du Te, originaire d'Okinawa, les arts chinois de la boxe du temple de Shaolin et d'autres styles du sud de la Chine, qui étaient pratiqués à l'époque dans la province du Fu-Kien. S'y ajoutent le ju-jitsu que les samouraïs pratiquaient en cas de perte du sabre (katana) et le Zen, sans doute la meilleure façon alors connue de maîtriser l'esprit. Nous connaissons l'histoire personnelle de plusieurs maîtres de Te de l'époque. Certains d'entre eux se rendirent dans la province du Fu-Kien, en Chine, pour y étudier. Inversement, un grand maître chinois, Kushanku (Kanku en japonais), passa six ans à Okinawa ; le kata qu'il enseigna alors porte aujourd'hui son nom. Puis, au XIXème siècle, l'art d'Okinawa commença à être connu sous le nom de Tsang-té (kara té en japonais), c'est-à-dire " la main chinoise ".
Même si l'art était
pratiqué en secret, généralement en pleine nuit ou juste avant l'aube,
trois styles distincts commencèrent à apparaître, l'un dans la capitale,
les deux autres dans des agglomérations voisines. Le shurité, l'art qui se
développa à Shuri, était pratiqué par les samourai de la cour, alors que
dans le port voisin de Naha et dans la petite ville de Tomari, aux portes
de Shuri, le peuple développa ses propres formes de Té.
En 1853, un
important fait transforma l'image de la pratique des arts martiaux
traditionnels : l'apparition des armes à feu que le Japon découvrit avec
l'expédition américaine Perry. Le déclin de certaines valeurs sociales qui
avait été amorcé au XVIIème siècle fut accéléré par cette
découverte qui fut suivie de près par l'unification du Japon à la période
de Restauration Meiji, en 1868, alors que le système féodal fut aboli pour
faire place à une société nouvelle avec l'ère Tokugawa (1868-1912). Ces
événements marquèrent la disparition du pouvoir militaire shogunal et la
fin de l'isolationnisme du Japon.
L'enseignement et
la pratique du karaté restèrent secrets jusqu'en 1900 où l'Okinawa-te ou
Tode devint le style le plus systématisé. Le voile fut levé en 1902 quand
un commissaire de l'Éducation de la Préfecture de Kagoshima, Shintaro
Ogawa, recommanda d'inclure le karaté dans le programme scolaire
d'éducation physique de certaines écoles de Shuri. L'Okinawa-te, qui ne
s'appelait toujours pas Karaté, fut alors enseigné ouvertement,
essentiellement comme méthode d'éducation physique.
C'est Gichin
Funakoshi, considéré comme le père du karaté moderne, qui en 1906 avec ses
collègues fit la première démonstration publique à Okinawa. De plus, en
1922, il fit connaître au Japon l'existence du karaté lors d'une fête
sportive (First National Athletic Exhibition) qui eut lieu à Tokyo sous
les auspices du Ministère de l'Éducation. Les Japonais ne connaissaient, à
cette époque, que le Jiu-Jitsu, une méthode dont le Judo tire sa source,
et certaines formes de self-défense venues au Japon au XIIème
siècle avec le bouddhisme Zen (Shorinji Kempo). Ils se mirent à l'étude de
cette méthode de combat encore inconnue et si efficace, sous la direction
de Maître Funakoshi.
À la fin du XIXème
siècle, le Japon avait été impliqué dans une série de guerres avec des
pays asiatiques. L'utilisation des arts martiaux traditionnels devenait
périmée en raison de leur peu d'utilité militaire dans une société
industrialisée, ce qui entraîna un déclin rapide des valeurs militaires
ancestrales. Toutefois, les valeurs transmises par la pratique des arts
martiaux sur le plan de l'esprit et de la force physique étaient
positivement encouragées. Le contrôle, c'est à dire l'arrêt des atemi à quelques millimètres de leur cible, est sans doute ce qui a permis au karaté son extraordinaire efficacité. Il devenait possible de s'entraîner régulièrement sans se blesser tout en visant des points vitaux. Le contrôle existait certainement depuis longtemps mais il a dû être systématisé au moment du passage du jutsu au do. Malheureusement, aucun document n'indique la date de son apparition lors des entraînements. On peut toutefois penser que l'entraînement au sabre (ken jutsu) fut le modèle que le karaté imita.
Pendant les années
20 et le début des années 30, le karaté est devenu très populaire auprès
des personnes provenant de toutes les couches sociales et particulièrement
auprès des jeunes étudiants. Dans les années 40, chaque université
japonaise avait son club de karaté.
Quelques années
après la guerre, de fréquentes requêtes des Forces Armées Alliées en poste
au Japon affluèrent demandant à assister à des démonstrations d'arts
martiaux. Des groupes d'experts en judo, kendo et karaté do furent formés,
afin de visiter deux à trois fois par semaine, les bases militaires et
démontrer leur art respectif. En 1952, le Strategic Air Command des
États-Unis a envoyé au Japon des groupes de jeunes officiers pour étudier
le judo, l'aïkido et le karaté do dans le but de former des instructeurs
en éducation physique.
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